Homélie du Dimanche de la Saint Michel 2024 — Fraternités de Jérusalem - Abbaye du Mont-Saint-Michel

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Homélie du Dimanche de la Saint Michel 2024

Homélie du Dimanche de la Solennité de la Saint Michel 2024
Mgr Grégoire Cador, évêque de Coutances et Avranches

Dn 7, 9-14 ; Ps 137, 1-5 ; Ap 12, 7-12a ; Jn 1,47-51

Pèlerinage des séminaristes de l’Ouest de la France

Le vainqueur du mal c'est le Christ,
soutenu dans le ciel par les troupes célestes de Michel et de ses anges

Frères et soeurs bien aimés, (même si la présence de 200 séminaristes fait que les frères sont plus nombreux que les soeurs aujourd'hui !) nous sommes réunis pour fêter Saint-Michel, « le chef des anges, celui qui se tient auprès des fils de ton peuple » (Dn 12, 1) comme le désigne le livre de Daniel.

Au cours d'une apparition, un être ayant l'apparence d'un homme déclare au prophète Daniel : « Personne ne me prête main forte contre mes adversaires, sauf Michel, votre ange. » (Dn 10, 21).

« Quis ut Deus ? » « Qui est comme Dieu » déclare l'archange sauroctone qui, à la tête de la milice céleste « terrasse le grand dragon » lui affirmant, comme le rapporte la lettre de Saint Jude : « Que le Seigneur te blâme ! » (Jud,24) et nous rappelant ainsi que Dieu seul est Grand !

Nous n'oublions pas, pour autant, en ce lieu spécialement consacré au chef de la milice céleste, ses deux collègues Gabriel (Dieu ma force, Dieu mon héros) et Raphaël (Dieu m'a Providence, Dieu me guérit). (J'ai parlé de "collègues" et non de "confrères", parce que je ne voulais pas laisser même sous-entendre qu'ils seraient fils de Dieu, comme nous le sommes en Jésus, bien qu'ils soient ses créatures spirituelles les plus abouties.) Et nous nous plaçons sous leur protection et celle de tous les anges sans oublier notre ange gardien.

Après votre traversée de la baie ce matin et, méditant au coeur de ce lieu béni de l'abbatiale du Mont-Saint-Michel placée sous la protection du "saint paratonnerre" qui nous surplombe, en méditant sur cette épopée céleste, vous pourriez être tentés, au nom même de la générosité qui vous a fait entrer au séminaire pour consacrer notre vie au Christ (ce dont nous rendons grâce), vous pourriez être tentés de vouloir prêter main-forte aux milices célestes et de chevaucher à leurs côtés pour pourfendre la canaille et lutter corps à corps contre le dragon. Vous rejoindriez ainsi la cohorte des saints "tueurs de lézards" (c'est la traduction littérale de sauroctone : tueur de dragon) à commencer peut-être par Saint Germain le Scot, qui vécut au 5ème siècle à l’extrême-nord de notre diocèse de Coutances et Avranches !

Il est vrai que notre vieux monde qui court dans tous les sens comme une poule à qui l'on vient de couper la tête, donne à certains d'entre nous l'envie de partir en croisade pour remettre les pendules à l’heure !

Mais je voudrais nous redire à nous tous et tout particulièrement à vous qui, si Dieu le veut, allez devenir serviteurs et intendants de nos communautés chrétiennes demain : Ne nous trompons pas de combat.

Le combat contre le mal, le Christ l'a déjà remporté. Daniel nous l’avait annoncé à mots couverts : « Je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; …/… Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. » (Dn 7, 13-14)

Fils éternel de Dieu venu en notre monde pour nous apprendre à vivre en fils de Dieu quand on est un fils d'homme, le Christ, réconforté d’ailleurs à Gethsémani par l’ange du Seigneur (Lc 22,43), a vaincu le mal une fois pour toute, par sa mort sur la croix. La Croix Glorieuse que nous avons célébrée il y a 15 jours.

Le vainqueur du mal c'est le Christ, soutenu dans le ciel par les troupes célestes de Michel et de ses anges, engagées contre le dragon qui ne fut pas le plus fort. « Oui, il fut rejeté, le grand dragon le serpent des origines, celui qu'on nomme Diable et Satan. » nous rappelait l’Apocalypse tout à l’heure. « Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus Christ » (1 Cor 15,57), écrira Saint Paul aux Corinthiens.

Il est vrai cependant que notre vie est un combat permanent et il ne faut surtout pas l’oublier au risque de tomber dans une léthargie mortifère tant au niveau personnel que communautaire. Mais ne prétendons pas combattre à la place du Christ ou de Saint-Michel et de ses troupes. Ne nous prenons pas pour ce que nous ne sommes pas et menons le bon combat : « Toi, homme de Dieu, recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance et la douceur. Mène le bon combat, celui de la foi, empare-toi de la vie éternelle ! C’est à elle que tu as été appelé, c’est pour elle que tu as prononcé ta belle profession de foi devant de nombreux témoins. » (1 Tim 6, 11-12) déclare Saint Paul à Timothée.

Nous ne sommes pas les "djihadistes chrétiens" qui partiraient au combat pour sauver le monde.

Le combat auquel nous sommes invités désormais et qui n'est pas forcément le plus facile, c'est d'abord et avant tout le combat contre nous-mêmes. Il s’agit, en fait, de laisser retentir en nous la victoire du Christ qui nous rend forts contre le mal. La victoire étant acquise le chrétien n'a peur de rien ni de personne, si ce n’est de lui-même et son infidélité redondante.

Vous pourriez me rétorquer que Saint Paul affirme dans sa lettre aux Ephésiens que « Nous ne luttons pas contre des êtres de sang et de chair, mais contre les Dominateurs de ce monde de ténèbres, les Principautés, les Souverainetés, les esprits du mal qui sont dans les régions célestes. » (Eph 6,12) Mais je vous inviterai alors, si vous aimez la castagne et les équipements de combat, à lire la suite de ce que dit Saint Paul justement : « Pour cela, prenez l’équipement de combat donné par Dieu ; ainsi, vous pourrez résister quand viendra le jour du malheur, et tout mettre en oeuvre pour tenir bon. » En résumé il s’agit du ceinturon de la vérité, de la cuirasse de la justice, des chaussures de l’ardeur à annoncer l’Évangile de la paix, et du bouclier de la foi, qui vous permettra d’éteindre toutes les flèches enflammées du Mauvais, du casque du salut et du glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la parole de Dieu. » (Cf. Eph 6, 13-17)

Permettez-moi d’ajouter à cette liste la finale de Saint Paul à laquelle je vous demande de m’associer en tant que successeur des apôtres. Saint Paul écrit aux Ephésiens : « Priez aussi pour moi : qu’une parole juste me soit donnée quand j’ouvre la bouche pour faire connaître avec assurance le mystère de l’Évangile. » (Eph 6, 18-19)

Ce combat contre nous-mêmes est très subtil et nettement moins gratifiant que le combat contre un ennemi clairement défini. Croyez-en quelqu'un qui a vécu pendant trois ans avec la protection rapprochée de gardes du corps sous la menace permanente d'être enlevé par les djihadistes de Boko Haram... Il y avait dans cette situation quelque chose d’exaltant, habité par le secret espoir, légèrement enivrant, d’avoir peut-être la chance un jour de verser son sang pour l'Évangile.

Depuis que je suis revenu en France j'ai compris qu'il était bien souvent plus difficile, de vivre la conversion au quotidien dans un monde indifférent. Le combat de la foi consiste, pour reprendre l’expression du Premier des Apôtres, à être « prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous. » (1 P 3, 15)

Lui qui nous dit aussi un peu plus loin : « Soyez sobres, veillez : votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. Résistez-lui avec la force de la foi. » (1 P 5, 8-9a)

Dans une actualité encore brûlante, écoutons ce que l’abbé Grosjean a déclaré aux funérailles de Philippine Lenoir de Carlan sauvagement assassinée le 20 septembre dernier. Il nous faut « opposer au mal, à sa violence et à sa laideur, la force de notre amour. »

Pour gagner ce combat il s’agit d'abord, comme nous le rappelle sans cesse notre bien aimé Pape François, de nous décentrer de l'auto-référentialité qui repose sur la certitude, bien souvent inavouée, que notre nombril est le centre du monde autour duquel le reste doit tourner.

« Le séducteur du monde entier est vaincu. » (cf. Ap 12, 9) avons-nous entendu tout à l’heure. S’il a été vaincu ce n'est pas pour que nous prenions sa place mais que nous la laissions au seul qui a le droit de nous séduire parce qu'il est l'origine et le but de notre vie : le Dieu trois fois saint qui se révèle en Jésus-Christ.

Les innombrables et effroyables révélations d'abus en tout genre commis par des prêtres parfois très en "odeur de sainteté" que nous découvrons avec horreur et consternation depuis quelques années ont mis en évidence l'urgence pour nos communautés d'apprendre à mieux situer la place du prêtre au service de tous...

Certains d'entre nous les prêtres ont vite fait de se prendre pour Celui au nom duquel ils ont été ordonnés et en la personne duquel ils agissent quand ils célèbrent les sacrements. Ils imaginent alors facilement qu'ils sont les maîtres ou les leaders derrière lesquels la communauté doit s'aligner... Or, nous dit Jésus « vous n'avez qu'un seul maître, le Christ.» (Mt 23,10) Ce n’est pas au prêtre de donner le tempo ! C’est au Christ !

Attention toutefois ! Ne chargeons pas trop vite le baudet ! Cette dérive qui consiste à faire du prêtre le "chef d’orchestre" n’est pas le seul fait des prêtres. Elle est bien souvent entretenue par nombre de chrétiens qui, oubliant leurs responsabilités de baptisés, sont trop contents de pouvoir s’en décharger sur le prêtre et pouvoir ainsi casser du sucre sur le dos de leur curé quand les choses ne vont pas comme ils le souhaitent.

C'est ensemble que nous sommes responsables de l'annonce de l'Évangile et nous sommes appelés à être les gardiens des uns des autres. Quand on s’entend bien avec le prêtre de sa paroisse, on est parfois tenté de le mettre sur un piédestal quand ce n'est pas de le monter au pinacle. On peut être tenté aussi de se l'approprier ou d'en faire son idole...

Alors, vous les fidèles du Christ qui m’écoutez, si vous aimez les prêtres, ce que je souhaite de tout coeur, ne faites jamais ça. Par pitié pour eux. C'est ce que Satan se proposait de faire avec Jésus au désert !...

Nous sommes des hommes comme les autres et ni l'ordination ni la raréfaction provisoire de notre espèce ne font de nous des surhommes.

Aidez-nous à être à notre place, toute notre place, rien que notre place. Pour cela prenez votre place à vous, toute votre place, rien que votre place et n'hésitez pas quand cela vous semble utile à nous remettre en question dans un dialogue fraternel et constructif...

Contemplons ensemble « le ciel ouvert et les anges de Dieu qui montent et descendent au-dessus du Fils de l'homme » et, ensemble, mettons-nous en marche avec le Christ et à sa suite pour le travail qu'il nous a confié. A savoir : annoncer la Bonne Nouvelle au monde qui crève de ne plus savoir à quels saints se vouer !

Saint-Michel, Saint-Gabriel, Saint Raphaël et vous tous les Saints anges de Dieu, priez pour nous !