Homélie dimanche 10 octobre 2021 - Festival Via Aeterna
Messe dominicale célébrée lors de Via Aeterna, festival de musique du Mont-Saint-Michel et de sa baie
Le Mont-Saint-Michel - Dimanche 10 octobre 2021
28ème dimanche du temps ordinaire - Année B
Sg 7, 7-11 ; Ps 89 ; He 4, 12-13 ; Mc 10, 17-27
Dans l’évangile que nous venons d’entendre, Marc dit de « Jésus qu’il posa son regard sur l’homme riche et qu’il l’aima ». L’homme accouru vers Jésus, tombé à ses genoux est donc aux yeux de Jésus un homme digne d’amour. L’authenticité de sa démarche a touché Jésus. Elle nous touche aussi. « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » demande l’homme à Jésus. Cet homme est digne d’amour car il est travaillé par un grand et beau désir ! Il rêve de vie éternelle, rien de moins !
Rêver de vie éternelle. Ce désir pourtant ne court plus les rues aujourd’hui. Les hommes et les femmes de notre époque semblent plus préoccupés par la quête du plaisir ici-bas que par celle du bonheur dans l’éternité. Ils n’espèrent plus les grandes joies éternelles et préfèrent se rabattre sur les petites joies terrestres. La vie éternelle ne ferait donc plus rêver ?
‘Via aeterna’ !, Vie éternelle. C’est pourtant le beau nom qui a été donné au festival de musique sacrée qui s’achève en apothéose ce dimanche au Mont saint Michel. ‘Via aeterna’ ! Ce nom nous rappelle que les bâtisseurs du Moyen Age, quand ils ont entrepris de construire l’abbaye du Mont saint Michel selon des règles d’architecture les plus harmonieuses possibles, concevaient ce lieu terrestre comme un symbole de la cité céleste promise aux croyants dans l’éternité de Dieu.
Le Mont saint Michel nous parle de vie éternelle. Il réveille en nous les désirs d’infini si enfouis dans la vie des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Quand on y prête attention, que de signes nous ramènent, consciemment ou non, au désir de vie éternelle en nous. Ainsi, il nous arrive de connaître parfois des moments tellement heureux que nous aimerions qu’ils durent toujours. La musique parfois nous transporte au ciel. Un homme et une femme quand ils s’aiment ne rêvent-ils pas d’éternité ? Et quand un être bien-aimé nous quitte, nous aimerions tant qu’il soit toujours vivant au-delà de la mort. Nous éprouvons aussi quelques fois le sentiment que nous avons tellement à vivre dans notre histoire que le temps d’ici-bas nous semble trop court. Comme si l’épanouissement de nos vies devait déborder par-delà la mort, comme si nous étions destinés à vivre pleinement dans l’au-delà de la vie éternelle.
A l’image de l’homme de l’évangile, nous nous tournons alors ce matin vers Jésus, et nous Lui demandons : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? »
L’initiation du Christ commence alors.
Jésus nous rappelle d’abord que Dieu seul est bon. « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. » dit Jésus. Quand l’homme appelle Jésus ‘Bon Maître’, il le place donc du côté de Dieu. Frères et soeurs, c’est parce que nous reconnaissons en Dieu une infinie bonté, manifestée en Jésus, que nous pouvons désirer sans crainte vivre de sa vie. Parce que Dieu est toute bonté, nous ne craignons pas de désirer sa rencontre éternelle.
Le chemin vers la vie éternelle, dit Jésus, commence par le respect de la loi. C’est là un premier pas nécessaire. La loi est donnée aux hommes comme une balise sur leur chemin. Ne pas respecter la loi, c’est prendre le risque de franchir la ligne rouge qui protège l’être humain de l’inhumanité. La loi est une nécessité pédagogique qui protège l’humanité en lui interdisant de sombrer dans l’inhumain.
Malheureusement, frères et soeurs, à ce stade déjà, il arrive que des hommes transgressent la loi, bloquant en eux le chemin de la vie éternelle. Des personnes font preuve d’inhumanité en violentant leurs frères et leurs soeurs. Nous pleurons devant la souffrance de tant de personnes victimes innocentes. Nous sommes atterrés face aux comportements ignobles de certains clercs qui, en défigurant le visage des petits, enlaidissent le visage de l’Église.
Dans le récit de l’évangile, l’homme a bien observé la loi : « Maitre tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse » répond-il à Jésus. Il est sur le bon chemin. Mais il lui manque encore une seule chose, dit Jésus : passer de la simple obéissance à la loi à la libre générosité de l’Esprit.
Frères et soeurs, l’Évangile nous appelle à ne pas nous contenter de vivre en hommes et en femmes soumis à la Loi morale, mais à devenir des hommes et des femmes libres qui incarnent la générosité absolue de Dieu révélée en Jésus. Disciples de Jésus, nous sommes appelés à vivre en hommes et en femmes qui soient témoins du don généreux et privilégié de Dieu pour les pauvres. Le Christ nous l’assure : là est secret de la joie véritable ! Là est le chemin vers le trésor du ciel !
Vivre dans la liberté du don, c’est être capables avec l’Esprit Saint de nous détacher de tout ce qui nous entrave. Nous libérer d’un trop grand attachement aux biens. Nous libérer de tout ce qui nous rend prisonniers de cet esprit de propriété qui tend à réduire l’avoir, et même les personnes, à l’intérêt qu’ils ont pour nous. Nous libérer de cette tentation sournoise de ne considérer les autres qu’en fonction du profit que nous pourrions en retirer pour nous et de ne vivre alors que pour soi-même.
Mais comme cette libération peut être difficile. Jésus ne le cache pas dans l’évangile : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu ! ». « Mais alors qui peut être sauvé ? » demandent ses disciples.
Oui, frères et soeurs, à l’image de l’homme aux grands biens qui dans l’évangile s’en va tout triste, il est difficile d’entrer dans le don quand on possède trop de richesses. L’homme riche croit souvent posséder ses richesses, or ce sont elles qui le possèdent et l’empêchent d’être libre en donnant ! La conversion du don est exigeante à vivre. Elle nous concerne tous, car en chacun, en chacune de nous, de bien des manières, l’esprit du propriétaire trop replié sur soi peut rendre prisonnier.
Nous entendons ce matin l’appel à devenir des hommes et des femmes de liberté dans le don. Des hommes et des femmes qui aiment partager ce qu’ils ont reçu. N’est-ce pas cela aussi l’expérience de la musique qui en se communiquant à tous devient source de joie ?
Frères et soeurs, l’Évangile de Jésus nous invite ce dimanche à prendre conscience de tout ce qui nous empêche de devenir des hommes et des femmes libres dans le don. Et nous réalisons peut-être à quel point nos attachements sont difficiles à dépasser, et quelle force surhumaine il nous faudrait pour nous en libérer vraiment. Et c’est ici alors que résonne en nous la Parole ultime de Jésus dans l’évangile. « Jésus les regarde et dit : Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »
Frères et soeurs, disciples du Christ, l’Esprit Saint est la force de Dieu qui donne aux hommes et aux femmes le courage de vivre dans le don. En lui ce qui paraissait impossible peut devenir enfin possible, et des personnes enfermées sur leurs seuls intérêts s’ouvrent à Dieu et aux autres. La présence de l’Esprit Saint en elles, les ouvre aux détresses de leurs frères et soeurs et les encourage au don de soi.
Ce don n’est pas seulement une affaire d’argent et de biens. Il est bien plus large. A l’image de Jésus, il nous invite à donner de notre temps, de notre disponibilité, de notre énergie, de notre amour, donner notre vie !
Frères et soeurs, laissons agir en nous l’Esprit de libération de Dieu, l’Esprit du don de Dieu. Qu’il nous ouvre à la joie du don dans le partage avec les pauvres, les préférés de l’amour du Seigneur. Et qu’en retour, nous soit donnés des frères et de soeurs en abondance pour la vie éternelle. Amen.